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EgaLE
7 avril 2006

Colloque du 9 décembre 2005

Principe de laïcité et service public : bilan de la loi sur les signes religieux à l'école

Eric Ferrand, Adjoint au Maire de Paris

Nous vivons des temps de grande confusion. C’est notre réalité, 100 ans après la loi de 1905, nous avons vécu ces dernières semaines un précipité des maux et des démons qui travaillent en profondeur la société française.

Des écoles qui brûlent et des ministres qui se déchirent sur l’avenir des zones d’éducation prioritaires, des communautarismes qui s’exacerbent et des éditorialistes pour qui le moment est venu de faire feu sur la république, responsable de tous les malheurs du monde.

Après ces nuits de violence, puis ces polémiques qui d’Austerlitz à Tamanrasset témoignent des confusions profondes qui traversent notre pays, il est incontestable que notre pacte républicain est aujourd’hui fragilisé, contesté par certains.

Je voudrai pour ma part, dans cette confrontation entre les principes de la laïcité et ses réalités, notamment dans les services publics, m’arrêter sur la question de la laïcité scolaire et donc sur l’avenir de l’institution éducative.

La laïcité est évidemment au cœur de la question scolaire, c’est une banalité de le dire et pourtant il me semble indispensable et urgent de le répéter et de le faire savoir en dehors des cercles bien informés ou de gens convaincus par avance.

Il y a quelques semaines, le philosophe Marcel Gauchet interrogé sur la laïcité déclarait (1) : « Je ne pense pas qu’en dehors du milieu politique cette question de la laïcité tracasse vraiment le loustic moyen ».

Et bien je pense que cela est d’une part regrettable. Et que cela n’est par ailleurs pas tout à fait vrai. Pour beaucoup de français, l’attachement à la république et à ses valeurs demeure essentiel et la laïcité est notre garantie la plus sûre.

D’aucuns estiment que tout cela est inutile et que nous ferions beaucoup de bruit pour rien.
Et bien je pense au contraire que nous ne nous faisons pas suffisamment entendre. Et qu’il est de notre devoir d’alerter le loustic moyen, le citoyen, l’enseignant et le parent d’élève des enjeux et des dangers qui sont devant nous si l’on choisit demain de faire sans la laïcité.

Alors bien sûr cet anniversaire de la loi de 1905 est victime du grand show Villepin-Sarkozy, qui ont trouvé là prétexte à jouer un nouvel épisode de leurs ruptures idéologiques ; UMP libéral social versus UMP libéral libéral.

Pourtant, en cet anniversaire il y aurait eu matière à faire œuvre de pédagogie et faire comprendre au plus grand nombre de nos concitoyens en quoi les enjeux de la laïcité décident de l’avenir de l’école, décident de l’avenir de notre démocratie.

Des pistes doivent être explorées pour que la laïcité soit une valeur mieux reconnue par un plus grand nombre de nos concitoyens.

Avant de formuler une proposition en ce sens je voudrai revenir sur les enjeux de la laïcité scolaire.

Il y a d’abord un bilan à dresser. Pendant les 15 dernières années, les affaires de voiles ont désorienté ce que depuis la loi de 1989, il est commun d’appeler avec les conséquences que l’on sait, la communauté scolaire. Elles ont pesé d’un poids lourd sur la fragilisation générale de l’institution scolaire.

Après tant d’années d’hésitations, d’atermoiements et de voltes faces, la loi du 15 mars 2004 a permis de sortir de l’ambiguïté posée jusque-là en principe d’action.

Cette loi est aujourd’hui très peu contestée et sur les recours introduits (28), les premiers jugements (une douzaine) ont confirmé les décisions de l’administration. De sorte que les organisations islamistes qui auraient souhaité engager une stratégie de l’affrontement semblent y avoir renoncé.

L’ancien Ministre de l’Education Nationale, Claude allègre qui participait il y a quelques jours à un débat télévisé sur la laïcité, avait beaucoup de mal à avouer en public les conséquences positives de cette loi… et pourtant, en conciliant fermeté et équilibre elle aura eu de grandes vertus pacificatrices.

Alors évidemment tous les problèmes ne sont pas réglés, mais cette loi était un préalable nécessaire. Car il y a une véritable vigilance à observer.

Le rapport Obin, remis en juin 2004 au Ministre de l’Éducation nationale, et consacré aux manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, souligne, au-delà des affaires de voiles, l’importance prise, dans certains collèges et lycées, par les phénomènes de ségrégation ethnique et religieuse.

Bien sûr, elles sont le fruit d’une réalité économique et sociale, elles sont également vivement encouragées par l’activisme de groupes ethnico-religieux, mais elles le sont aussi parfois par les municipalités elles-mêmes.

Et l’on se souvient qu’il est des communes qui encouragent ou se résignent par exemple au recul de la mixité en proposant des activités non mixtes ou encore des horaires réservés dans les équipements sportifs. Dès lors, le seul lieu de mixité qui subsiste dans ces quartiers, à savoir l’établissement scolaire, est soumis à une pression religieuse d’autant plus insupportable.

Je crois que nous devons faire preuve de fermeté. Nous avons l’expérience, la pratique des affaires de voiles qui doit guider notre conduite. Pour que l’école ait une chance de retrouver un rôle majeur d’intégration il faut qu’elle soit intransigeante vis-à-vis de tous ceux qui veulent en faire un lieu de discrimination, de ségrégation, d’opposition ou d’affrontement entre de groupes rivaux crispés de manière indépassable sur des origines ou des croyances.

La loi de 1905 doit demeurer notre cadre. Et le débat entre laïcité ouverte ou laïcité fermée doit aujourd’hui être dépassé et surmonté.

Car dans la pratique la laïcité, c’est aussi un combat. Je me souviens du militant laïque que fut Jean Cornec. On a oublié Jean Cornec, et sa disparition il y a tout juste 2 ans a peu ému les médias et la gauche en particulier.

Avec une vision de la laïcité exigeante, une laïcité dont il disait qu’elle ne peut être réduite à « une stérilisante neutralité, ni confondue avec une extension abusive de la notion de tolérance », cet homme était une force de conviction et de mobilisation qu’il mit au service de l’école de la république.

11 millions de signatures recueillies par le Comité National d’Action laïque en 1960, voilà qui pourrait nous servir d’exemple !

Les temps ont bien changé me direz vous. Oui, aujourd’hui les fronts et les assauts sont multiples. Il y a évidemment les intégrismes religieux qui doivent être repoussés, mais ils ne sont pas les seuls à vouloir bousculer l’institution scolaire. Et la nécessité de garantir à l’école des conditions pacifiées de transmission des savoirs demeure essentielle.

Et pour ma part, je crois que l’école qui se dessine, que la droite nous prépare depuis plus de 3 années maintenant, n’est déjà plus tout à fait une école laïque, car elle ne cesse de remettre en cause sa mission première : l’égalité d’accès aux savoirs.

D'abord, l’école réduit ses exigences et ses ambitions. De Luc Ferry à Gilles de Robien, l’école commence toujours plus tard ; la scolarisation des enfants de 3 ans est de plus en plus mal assurée dans notre pays, alors que c’est bien là que se décident les plus fortes inégalités sociales, l’école commence de plus en plus tard donc et finit de plus en plus tôt.
Voyez l’apprentissage junior et la fin de l’obligation scolaire à 16 ans proposée en guise de réponse aux nuits de violence.

Ensuite c’est une école qui resserre ses objectifs autour de ce qu’il est commun d’appeler les fondamentaux. C’est le rapport Thélot et loi Fillon, qui en substance nous disent : puisque l’institution scolaire n’y arrive plus, produit de l’échec scolaire, et bien revoyons nos ambitions, soyons modestes ! ! !
Et faisons à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.

Nous voilà bien loin des idéaux républicains, de l’ambition de donner à chacun une chance de s’élever socialement en s’émancipant de ses déterminismes, qu’ils soient sociaux, culturels ou encore religieux.

Nous sommes dans une école qui se marchandise, qui s’utilitarise, bref qui se libéralise, qui rentre dans le droit commun des services. Et l’on sait que l’OMC rêve de faire de l’éducation et de la santé, des services comme les autres.

Oui je crois que l’école de la république est moins laïque ? Voyez le lycée expérimental proposé par le directeur de sciences po, adepte fervent de discrimination positive, soutenu et encouragé par le Premier Ministre et au-delà, par toute une partie de notre classe politique.

Ce « lycée de l’excellence » est à la fois un renoncement et une insulte. C’est une insulte à tous les autres lycées de Seine Saint-Denis, c’est un renoncement envers tous ceux qui ne feront pas parti du lycée de l’excellence de Monsieur Descoings. C’est enfin un système éducatif qui ouvre grandes ses portes aux marchands, car évidemment, il est prévu de financer en majorité ce projet par des entreprises, trop contentes de pouvoir associer leurs marques à « l’excellence éducative ».
M. Descoings cherche une municipalité qui voudrait lui fournir des locaux pour la rentrée prochaine, car il est pressé et estime qu’au lendemain de 20 nuits de violence il y a une fenêtre de tir pour son projet !

Ce n’est plus la république, ce n’est pas la laïcité, ce n’est plus l’égalité, c’est de la discrimination positive. Et je suis d’accord…avec Lionel Jospin(2): « je suis hostile aux communautarismes ! Il faut rester dans notre tradition républicaine qui consiste à garantir l’égalité des citoyens quelle que soit leur origine. »

Il faut donner aux lycées de Seine Saint-Denis les moyens d’être demain aussi parmi les meilleurs. Et pour cela il faut cesser de supprimer des dizaines de milliers d’emplois dans les établissements scolaires comme ce fut le cas ces 3 dernières années.

L’accueil favorable réservé par une partie de la gauche à cette initiative est choquant. Il signifie que l’esprit laïque a reculé dans notre pays. Il signifie que l’intérêt général, est subordonné aux intérêts de quelques-uns, il signifie que le communautarisme pourra demain prospérer sur les égoïsmes d’aujourd’hui.

Comment notre système éducatif, comment le service public de l’éducation pourrait –il rester indemne face aux coups de canifs répétés dans notre pacte républicain ?

Il y a une école à laquelle je suis pour ma part attaché, celle que l’on caricature trop souvent aujourd’hui, l’école républicaine, égalitaire et universelle dont on dit qu’elle n’a jamais existé, qu’elle serait un mythe !

Mais peut-on enseigner aujourd’hui, en collège ou en lycée, sans un idéal d’unité autour de l’idée d’un service public, d’un engagement au service de l’intérêt général, d’obligations qui transcendent et justifient les droits, du retrait laïque des conceptions spirituelles sur la vie privée ?
Bref peut –on vraiment être professeur, de nos jours, toute une vie, sans rêver de république ? Je ne le crois pas.

La laïcité est le ciment qui devrait garantir le bon fonctionnement de notre vouloir-vivre ensemble. Mais quand le pacte républicain est contesté, quand pour certains il y a nécessité de rupture, sans que l’on sache précisément de ce dont il s’agit, mais que l’on comprenne tout de même que l’idée maîtresse est de faire triompher les intérêts de quelques-uns, le clientélisme et le communautarisme, alors il y a je le crois une nécessité de clarification.

Comme cela a d’ailleurs été possible pour L’Europe à l’occasion du référendum sur la Constitution européenne.

Bien sûr toutes les conséquences de ce scrutin n’ont pas toutes été tirées aujourd’hui. Elles le seront dans les prochains mois et les prochaines années. En tout état de cause, quand le peuple s’est exprimé, il est plus difficile de parler à sa place !

La commission Stasi a engagé un travail remarquable et nous sommes nombreux à regretter que la loi du 15 mars 2004 n’ait pas pris en compte un plus grand nombre des recommandations faites à cette occasion. Reste un débat national qui a contribué à replacer les enjeux de la laïcité dans notre temps.

Malheureusement, l’école n’a pas eu cette chance. Et la consultation nationale a accouché d’une part d’une loi malthusienne, et renoncé à redonner au service public de l’éducation les moyens de retrouver la confiance dont il a aujourd’hui besoin.
L’école et la laïcité, doivent être replacées au centre de notre projet démocratique.

L’élection structurante de notre vie politique approche. Il est temps pour la gauche de sortir de son mutisme. Et particulièrement sur l’école, l’égalité des chances et la laïcité. Il y a en tout cas urgence à ce que les Français puissent se prononcer clairement, et pourquoi pas à l’occasion d’un référendum. Sur cette question par exemple: la laïcité, l’égalité des chances et l’accès de tous aux savoirs demeurent-ils oui ou non notre idéal démocratique ?

Invitons donc les futurs et nombreux candidats à l’élection présidentielle à s’engager s’ils étaient élus à poser eux-mêmes cette question aux Français !


Je vous remercie.



(1) Libération du 24 octobre
(2) Les Echos du 7 décembre

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